Non, les livres ne sont pas morts ! Le cinéma, en revanche…

La littérature au service du 7ème art – par l’Ogre Littéraire (Juillet 2015)

 

QUAND LE CINÉMA JETTE L’ÉPONGE

Quelquefois, après avoir ingurgité des heures et des heures de séries, de films, bien au chaud dans son canapé, ou au contraire, dans une salle de cinéma surclimatisée, on se surprend à faire le bilan de ce que l’on a visionné lors des derniers mois. Les films nous ayant laissé un souvenir impérissable (dans le bon comme dans le mauvais sens), les scènes les plus marquantes… Et parfois des tendances très nettes se dégagent. Par exemple, il est indéniable que, depuis une dizaine d’années, la tendance générale du côté blockbusters américains est aux super-héros. Chaque protagoniste a aujourd’hui droit à sa version cinématographique, son remake, son reboot…

C’est donc après l’un de ces fameux bilans que récemment, une réalité s’est imposée à moi en ce qui concerne le monde du cinéma. Le manque d’inspiration…

Car c’est un fait, quand on y regarde de plus près, il est incontestable que le cinéma est en manque de nouvelles idées originales, osées, et rejette les vraies prises de risque. Aujourd’hui, il préfère se cacher dernière des histoires déjà éprouvées, dont l’intérêt du spectateur ne fait que peu de doutes : histoires vraies marquantes, livres à succès, best-seller… Aujourd’hui, il est impossible de compter le nombre de bandes-annonces dont le titre est précédé de la mention « D’après le best-seller de… » ou encore « D’après l’histoire vraie de… »

Cette tendance est aujourd’hui devenue si marquée qu’elle en deviendrait même une nouvelle norme. Sitôt un livre rencontre le succès, sitôt les médias se demandent « quand sera-t-il adapté au cinéma ? » plutôt que « le sera-t-il ? ». C’est ainsi qu’aujourd’hui, la littérature se retrouve être la principale pourvoyeuse des scénarios des studios de cinéma, phénomène d’ailleurs prépondérant chez les studios hollywoodiens inondant le marché cinématographie occidental.

 

 

LES CHIFFRES

Avant d’analyser ce phénomène attardons-nous sur quelques chiffres très parlants :

Au box-office français de 2015 sur les 6 premiers mois de l’année, sur les 22 premiers films,12 sont des adaptations de romans ou de BD/Comics :

– Avengers : L’Ère d’Ultron (univers Marvel)

– American Sniper (adaptation d’une biographie)

– Cinquante Nuances de Grey (roman d’E.L. James)

– Divergente 2 (roman de Veronica Roth)

– Pourquoi j’ai pas mangé mon père (roman de Roy Lewis (eh oui!))

– Les Nouveaux Héros (Univers Marvel)

– Cendrillon (comte popularisé en occident par Charles Perrault)

– Kingsman : Services secrets (comics de M. Millar et D. Gibbons)

– Le Dernier Loup (roman de Jiang Rong)

– Les Souvenirs (roman de David Foenkinos)

– Immitation Game (biographie par Andrew Hodges)

– Une heure de tranquilité (adaptation d’une pièce de Florian Zeller)

C’est donc plus de la moitié des films qui est directement inspirée d’une œuvre littéraire, avec une histoire tracée et des personnages déjà construits. Ajoutés à cela les sequels (Jurrasic World, Fast & Furious 7, Mad Max : Fury Road…) les films inspirés de séries TV (Bob l’Éponge, Connasse), il ne reste que 3 longs métrages pouvant être classifiés en tant que Création Originale.

Cette tendance n’est que la confirmation d’un phénomène déjà observable depuis plusieurs années avec, par exemple, un nombre de 26 films inspirés de romans, ou d’autobiographie sur les 50 premiers succès du box-office en France en 2014 : Le Hobbit, Hunger Games, Le Labyrinthe, Gone Girl, Divergente, Monuments Men, Edge of Tomorrow, Nos Étoiles Contraires…

 

 

ET LES LIVRES, DANS TOUT ÇA ?

On pourrait se réjouir de voir que le septième art, en manque d’inspiration, vient aujourd’hui puiser ses idées dans le cinquième et ainsi donner envie à des millions de téléspectateurs de se plonger (ou de se replonger) dans un roman dont l’adaptation cinématographique a marqué les esprits. On pourrait se féliciter qu’en dans une époque où prendre le temps de se poser devant un livre devient presque un luxe et où la tendance est au consommé rapide d’articles sur Internet plutôt qu’aux grands textes longs des journaux papiers, les œuvres littéraires disposent d’une vitrine aussi énorme que celle offerte par l’industrie cinématographique.

Cependant, ne court-on pas le risque de voir l’industrie littéraire devenir une antichambre du cinéma ? Ne proposant ainsi plus que des ouvrages jugés « bankable » par le Cinéma en tête de gondole dans les librairies? Ne va-t-on pas finir par se retrouver dans la situation où un jeune auteur présentera un livre à une maison d’édition qui lui refusera un contrat sous prétexte que l’adaptation cinématographique semble difficile, jugeant ainsi les retombées financières trop réduites ?

Le risque est réel, d’autant plus que le nombre de créations de nouveaux livres explose en France et plus généralement dans le monde depuis ses dernières années. L’auto-édition et les eBook, largement popularisés par Amazon, inondent le marché ce qui rend de plus en plus difficile la visibilité des livres d’une qualité réelle noyés dans la masse de l’offre.

Les éditeurs, eux-mêmes, n’ont jamais eu autant de propositions de manuscrit. Dans un contexte où les lecteurs lisent de moins en moins et où l’offre est de plus en plus large, de nouveaux critères de sélection vont ainsi voir le jour. Le potentiel cinématographique d’une livre alors se retrouver mis sur le devant de la scène, alors que paradoxalement, le livre est presque l’antithèse du cinéma : là où un film impose jusqu’au nombre de cheveux des héros, le livre laisse libre cours à l’imagination du lecteur, le faisant évoluer dans un monde où il est, certes, guidé, mais où il se construit un univers au fur et à mesure de l’histoire…

Cette tendance est, hélas, déjà observable : il est plus facile de trouver dans une libraire le dernier Hunger Games, Divergeante, ou autre Cinquante Nuance de Grey que le dernier prix Goncourt.

 

 

LA BALLE EST DANS NOTRE CAMP

Aujourd’hui, le seul lieu de vraie créativité audiovisuel est la télévision, et c’est ici que les vraies prises de risque se font, et cela, principalement avec les séries TV. Certes, celles qui cartonnent le plus telles que Games of Throne ou The Walking Dead sont toutes deux issues de livres ou de comics et se cantonnent en grande partie à suivre la trame proposée dans les ouvrages éponymes. Mais la production globale de série est aujourd’hui énorme, avec des histoires torturées, des intrigues rivalisant de maîtrise et de suspens, complexes et osées. De gros groupes comme Canal osent aujourd’hui proposer des créations originales avec des thématiques qui sortent des sentiers battus, et des réalisations qui n’ont rien à envier au cinéma.

Il n’est qu’à espérer que l’industrie littéraire continue de garder cette indépendance qui la caractérise tout comme réussi à le faire le petit écran. En tant que lecteur, notre rôle est primordial : nous nous devons de continuer à arpenter nos librairies sans relâche, à la recherche d’œuvres confidentielles fabuleuses, incroyables, extravagantes… et continuer de découvrir de nouveaux talents et ainsi montrer aux éditeurs que oui, les livres ne sont pas morts, que non, le cinéma ne les entraînera pas dans sa chute.

 

Juillet 2015 – L’Ogre Littéraire

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