Eternity Incorporated suit chronologiquement Thinking Eternity mais peut être lu seul.
Plusieurs siècles après l’anéantissement de la civilisation par un virus inconnu, une partie de l’humanité survivante a trouvé refuge dans une ville-bulle régentée par un ordinateur central omnipotent.
Au sein de ce sanctuaire, nous vivons les destins entrecroisés de trois personnages inoubliables, Sean, le musicien drogué, proche des anti-Processeur, Ange, la gardienne de la loi prête au sacrifice et Gina, l’ingénieure ambitieuse, confidente du Processeur. Un changement majeur dans l’ordre de la Bulle les lance sur la quête dangereuse des secrets du Processeur et d’eux-mêmes.
La Critique de l’Ogre : 8/10
Au premier abord, l’histoire d’Eternity Incorporated semble déjà vue : une humanité parquée dans un environnement clos pour sa « protection », le tout dirigé par une entité omnipotente… Un récit dystopique – ie. contre-utopique – basé sur une idée dont de nombreux films ou livres se sont déjà inspirés. Eh bien, Raphaël Granier de Cassagnac nous montre ici qu’il est possible de produire une oeuvre originale à partir de concepts déjà usités, simplement en les traitant de manière différente.
L’histoire, contée à la première personne sur une triple narration, nous fait suivre le destin entrecroisé de trois personnages très différents, chacun entretenant une relation particulière avec le Processeur. Ce concept a l’intérêt de nous faire découvrir la vie au sein de la Bulle sous plusieurs aspects aux antipodes les uns des autres : l’autorité et la loi avec Ange, la science avec Gina ou encore une découverte de la vie underground via Sean. L’écriture est prenante, imagée, et les questionnements internes des personnages sur cette existence sous cloche leur donnent de l’épaisseur et de la crédibilité. Le tout est baigné dans un univers futuriste que l’on ressent oppressant sans être étouffant, ponctué de scènes – notamment celles impliquant Sean – plongeant le lecteur dans une atmosphère poétique étonnante.
Le vrai point fort de ce livre est vraiment l’originalité avec laquelle Raphaël Granier de Cassagnac aborde la vie sous la Bulle, avec un Processeur presque « bienveillant » qui ne se contente pas de simplement en régir la vie, mais qui, sournoisement, vient s’immiscer en elle. Sean en tire par exemple directement l’inspiration pour composer sa musique et transcender les foules tandis que Gina développe une relation particulière avec un avatar contrôlé par le Processeur lui-même… Tout cela apporte de la nuance et permet de s’éloigner du côté manichéen des histoires traitant de cette thématique où l’entité omnipotente et/ou hégémonique, humaine ou artificielle, incarne bien souvent le mal absolu.
L’évolution des personnages et de l’intrigue est intéressante – les chapitres centrés sur Ange m’ont particulièrement plus – mais il faut tout de même avouer qu’une baisse de rythme se fait ressentir lors de la deuxième partie où l’histoire de Sean et Gina semble quelque peu stagner. Ce ralentissement n’est au final que peu étonnant au regard de la thématique bien plus politique qui y est abordée. Cette deuxième partie n’en demeure pas moins prenante et se pare d’une conclusion surprenante. La fin du livre divisera sans aucun doute les lecteurs, mais pour ma part, j’ai sincèrement adoré, d’autant plus qu’elle prolonge les réflexions pertinentes déjà entamées dans Thinking Eternity.
Un très bon roman d’anticipation qui renouvelle le genre de la contre-utopie.