Le mouton n’était pas mal, avec sa laine et ses bêlements plus vrais que nature les voisins n’y ont vu que du feu. Mais il arrive en fin de carrière : ses circuits fatigués ne maintiendront plus longtemps l’illusion de la vie. Il va falloir le remplacer. Pas par un autre simulacre, non, par un véritable animal. Deckard en rêve, seulement ce n’est pas avec les maigres primes que lui rapporte la chasse aux androïdes qu’il parviendra à mettre assez de côté. Holden, c’est lui qui récupère toujours les boulots les plus lucratifs normal, c’est le meilleur. Mais ce coup-ci, ça n’a pas suffi. Face aux Nexus-6 de dernière génération, même Holden s’est fait avoir. Alors, quand on propose à Deckard de reprendre la mission, il serre les dents et signe. De toute façon, qu’a-t-il à perdre ?
La critique de l’Ogre : 9/10
Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? est le roman de Science-fiction à l’origine du (des) film(s) Blade Runner, dont le premier, réalisé par Ridley Scott, a rencontré un grand succès, notamment lors de sa deuxième vie, post-cinema. Blade Runner est en réalité une adaptation librement inspirée de ce roman qui n’a pas grand-chose à voir avec le livre originel, autrement que par l’arc narratif général. Là où ce film se situe dans un futur apocalyptique sombre et révèle plus du long-métrage contemplatif, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? se trouve être d’une toute autre teneur. Certes, le côté apocalyptique futuriste est bien présent, mais le ton du livre est bien plus original que son adaptation, parfois décalé, avec un humour sous-jacent bien dosé, et qui présente une quête personnelle intense plus qu’une chasse à l’androïde. Pour ma part, je trouve que ce livre est sans commune mesure avec son adaptation, certainement l’un des livres les plus prenants, originaux et immersifs que j’ai lu depuis très longtemps.
L’écriture de Philip K. Dick est parfaite. Vraiment, c’est un plaisir de le lire, ses phrases sont superbement construites, ses analyses des situations, de ses personnages, son humour toujours en filigrane… Il réussit aussi le tour de force d’imposer l’ambiance de son livre, non pas avec des descriptions précises de son univers, mais simplement avec son écriture, les mots choisis, des indices, laissés par-ci, par-là, qui nous plongent dans son futur apocalyptique. Un futur où la Terre, ravagée par les retombées radioactives de guerres nucléaires, devient un territoire d’exil vers des colonies, notamment Mars, où la vie se trouve être toute aussi dure.
Pour donner corps à son roman, il développe un bel et grand univers autour de son arc narratif principal, des éléments en marge de l’histoire qui lui confère une crédibilité bien assise. Les orgues d’humeur, la recherche désespérée de liens emphatiques, le mercerisme – une sorte de religion/philosophie basée sur l’empathie qui se parallélise parfaitement avec la quête personnelle de Deckard, exposée plus bas – les émissions de variétés… Il y a aussi grosse partie de cet univers qui tourne autour des animaux, aujourd’hui presque tous disparus, et remplacés par des versions électriques si fidèles que les humains se trouvent dans l’incapacité de les distinguer de leur version biologique. Le cours boursier des animaux encore vivants, présentés dans le Sidney, ce magazine qui, chaque mois, remet à jour les valeurs de ces êtres devenus si rares, finit de mettre en scène ce monde, où la vraie richesse ne s’expose pas directement avec l’argent que l’on possède, mais par sa capacité à pouvoir se payer l’un de ces fameux animaux « non-électriques ».
L’histoire s’ancre parfaitement dans cet univers. Ce que j’ai apprécié, pour ma part, c’est le côté « sans suspense » de la narration. À entendre par là, que Philip K. Dick s’affranchit totalement des codes de ce genre d’histoire, d’une traque d’androïdes (ou simplement, de fugitifs) par un policier : ici, point de course-poursuite, de suspense « à deux euros » avec des événements sans grand intérêt, mais qui sont seulement là pour brouiller les cartes… – écueil dans lequel le film de Ridley Scott est bien tombé. Non, ici, Deckard retrouve facilement ses cibles, les tue lorsqu’il le décide, sans trop de difficulté. Pourquoi ? Parce que le coeur de l’histoire n’est pas la chasse, mais une question philosophique sur l’extermination de cette forme de vie artificielle, créée par l’homme.
Le personnage de Deckard est en ce sens d’une grande profondeur et se construit, lentement, au fur et à mesure des pages et des retraits – des exécutions 🙂 – des Nexus-6, ces androïdes si proches des êtres humains que les tests psychologiques censés les mettre à jour deviennent presque obsolètes. Les rencontres et les expériences que Deckard va vivre lui feront se questionner sur sa mission, sa relation personnelle avec « l’espèce » androïde… Et sur sa capacité à les retirer. C’est une vraie quête intérieure que l’on suit, avec un lente descente aux Enfers orchestrée d’une main de maître par un Philip K. Dick d’une grande justesse. Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? La question n’est pas seulement le titre de ce livre, mais aussi et surtout sa question centrale.
Un grand romain de SF, qui n’a, au final, pas grand-chose à voir avec son adaptation cinématographique, et que tout amateur de cette littérature se devrait de lire.