À l’heure où le régime castriste s’essouffle, » Don Fuego » chante toujours dans les cabarets de La Havane. Jadis, sa voix magnifique électrisait les foules. Aujourd’hui, les temps ont changé et le roi de la rumba doit céder la place. Livré à lui-même, il rencontre Mayensi, une jeune fille » rousse et belle comme une flamme « , dont il tombe éperdument amoureux. Mais le mystère qui entoure cette beauté fascinante menace leur improbable idylle.
Chant dédié aux fabuleuses destinées contrariées par le sort, Dieu n’habite pas La Havane est aussi un voyage au pays de tous les paradoxes et de tous les rêves. Alliant la maîtrise et le souffle d’un Steinbeck contemporain, Yasmina Khadra mène une réflexion nostalgique sur la jeunesse perdue, sans cesse contrebalancée par la jubilation de chanter, de danser et de croire en des lendemains heureux.
La critique de l’Ogre : 6/10
Dieu n’habite pas La Havane, roman de Yasmina Khadra, est une plongée dans le Cuba sous Fidel Castro, une immersion dans la vie locale au travers d’un chanteur, une gloire de la chanson cubaine qui, à l’heure de l’ouverture aux investissements étrangers et surtout américains, se retrouve du jour au lendemain remercié du club dans lequel il officiait chaque soir depuis tant de temps. Sans être une descente aux Enfers, Don Fuego se prend la réalité en plein visage, une démonstration douloureuse de l’aspect éphémère de la gloire, une évanescence qui n’épargne personne, que l’on soit au sommet de son art ou pas. Face à cette désillusion, Don Fuego encaisse, tente de rebondir, mais est en proie aux doutes. Une lutte contre lui-même s’engage alors : mettre de côté son orgueil, regagner sa gloire, intégrer que rien n’est éternel, y compris le grand Don Fuego… Jusqu’au jour où sa route croise celle de Mayensi.
Ce roman se lit avec intérêt, et il est servi par une écriture belle et fluide. Il est intéressant de suivre Don Fuego dans cette tranche de vie difficile, très bien retranscrite par Yasmina Khadra. En premier lieu, la chute de l’homme, qui réalise que personne n’est remplaçable. Homme que ses concerts successifs, au travers des années, ont rendu suffisant. Il se croit beau, fort, chanteur envoûtant et festif… Mais lorsque son club ferme, malgré son talent, il se retrouve sans travail, et sa notoriété est loin d’être suffisante pour lui offrir de nouvelles perspectives. Il y a alors une plongée dans la société cubaine et ses rouages, un état ayant la main mise sur tout et tout le monde. C’est passionnant à suivre de l’intérieur, j’ai beaucoup aimé ces parties.
Hélas, certaines ficelles ou clichés entachent le tout, notamment avec l’arrivée de Mayensi dans l’histoire. Il y a d’abord les « coïncidences classiques », comme cette rencontre entre Don Fuego et cette femme qui s’apprête à lui changer la vie, pile à l’instant où lui est au fond, perdant peu à peu espoir. Il y a ensuite l’histoire classique et le cliché de l’homme âgé dont le coeur bat de nouveau pour une jeune fille de trois fois sa cadette. Enfin, et c’est sans doute le point qui m’a le plus dérangé, c’est cette « fausse histoire » d’amour entre Don Fuego et Mayensi, lui qui, soi-disant, tombe amoureux de cette fille alors qu’il ne l’a pour ainsi dire pas encore découverte. C’est un peu superficiel, basé uniquement sur le physique de cette fille qui est d’ailleurs constamment décrite par ces traits de caractère. Il y a bien entendu des artifices pour décrire le sentiment amoureux : Mayensi est « mystérieuse », « abîmée »… Mais dans les faits, je trouve que cela manque de profondeur, d’autant plus que leur relation s’étoffe par la suite : ce livre aurait gagné en crédibilité, je pense, en construisant cette relation amoureuse au fil des pages. Plutôt qu’avoir un Don Fuego hypnotisé par la jeune femme et son physique.
Reste que le livre aborde des sujets intéressants, et notamment un que j’ai apprécié. Ce livre est une tranche de vie d’un homme exposé au passage du temps et de ses effets. Le temps est partout. Le temps qui passe et qui a conduit Don Fuego jusqu’à cet âge où les choses se terminent. Le temps qui a ancré les certitudes de Don Fuego sur sa carrière et son talent dans son coeur. Le temps passé sur cette Terre, encore un peu court, de Mayensi. Le temps qui passe sur l’île du Cuba et qui en change l’ambiance et les rues. Le temps pour Don Fuego de digérer ses aventures avec Mayensi… Bref, tout semble à la fois en mouvement et lent, et cela offre de bonnes périodes de lecture, mêlant contemplation, interrogation et relations entre les personnages.
Un bon roman, loin d’être parfait, mais qui propose une belle plongée dans la société cubaine sous Fidel Castro.